Lettre sur la censure en Russie

  Je profite de l’autorisation que vous avez bien voulu me donner, pour vous soumettre quelques réflexions, qui se rattachent à l’objet de notre dernier entretien. Je n’ai assurément pas besoin de vous exprimer encore une fois ma sympathique adhésion à l’idée que vous avez eu la bonté de me communiquer et, dans le cas où on tenterait de la réaliser, de vous assurer de ma sérieuse bonne volonté de la servir de tous mes moyens. Mais c’est précisément pour être mieux à même de le faire que je crois devoir, avant toute chose, m’expliquer franchement vis-à-vis de vous sur ma manière d’envisager la question. Il ne s’agit pas ici, bien entendu, de faire une profession de foi politique. Ce serait une puérilité: de nos jours, en fait d’opinions politiques, tous les gens raisonnables sont à peu près du même avis; on ne diffère les uns des autres que par le plus ou le moins d’intelligence que l’on apporte à bien reconnaître ce qui est et à bien apprécier ce qui devrait être. C’est sur le plus ou le moins de vérité qui se trouve dans ces appréciations qu’il s’agirait avant tout de s’entendre. Car s’il est vrai (comme vous l’avez dit, mon prince) qu’un esprit pratique ne saurait vouloir dans une situation donnée que ce qui est réalisable en égard aux personnes, il est tout aussi vrai qu’il serait peu digne d’un esprit réellement pratique de vouloir une chose quelconque en dehors des conditions naturelles de son existence. Mais, venons au fait. S’il est une vérité, parmi beaucoup d’autres, qui soit sortie, entourée d’une grande évidence, de la sévère expérience des dernières années, c’est assurément celle-ci: il nous a été rudement prouvé qu’on ne saurait imposer aux intelligences une contrainte, une compression trop absolue, trop prolongée, sans qu’il en résulte des dommages graves pour l’organisme social tout entier. Il paraît que tout affaiblissement, toute diminution notable de la vie intellectuelle dans une société tourne nécessairement au profit des appétits matériels et des instincts sordidement égoïstes. Le Pouvoir lui-même n’échappe pas à la longue aux inconvénients d’un pareil régime. Un désert, un vide intellectuel immense se fait autour de la sphère où il réside, et la pensée dirigeante, ne trouvant en dehors d’elle-même ni contrôle, ni indication, ni un point d’appui quelconque, finit par se troubler et par s’affaisser sous son propre poids, avant même que de succomber sous la fatalité des événements. Heureusement, cette rude leçon n’a pas été perdue. Le sens droit et la nature bienveillante de l’Empereur régnant ont compris qu’il y avait lieu à se relâcher de la rigueur excessive du système précédent et à rendre aux intelligences l’air qui leur manquait…

  Eh bien (je le dis avec une entière conviction), pour qui a suivi depuis lors dans son ensemble le travail des esprits, tel qu’il s’est produit dans le mouvement littéraire du pays, il est impossible de ne pas se féliciter des heureux effets de ce changement de système. Je ne me dissimule pas plus qu’un autre les côtés faibles et parfois même les écarts de la littérature du jour; mais il y a un mérite qu’on ne saurait lui refuser sans injustice, et ce mérite-là est bien réel: c’est que du jour où la liberté de la parole lui a été rendue dans une certaine mesure, elle c’est constamment appliquée à exprimer de son mieux et le plus fidèlement possible la pensée même du pays. A un sentiment très vif de la réalité contemporaine et à un talent souvent fort remarquable de la reproduire, elle a joint une sollicitude non moins vive pour tous les besoins réels, pour tous les intérêts, pour toutes les plaies de la société russe. Comme le pays lui-même, en fait d’améliorations à accomplir, elle ne s’est préoccupée que de celles qui étaient possibles, pratiques et clairement indiquées, sans se laisser envahir par l’utopie, cette maladie si éminemment littéraire. Si dans la guerre qu’elle a faite aux abus elle s’est laissée parfois entraîner à d’évidentes exagérations, on peut dire, en son honneur, que dans son zèle à les combattre elle n’a jamais séparé dans sa pensée les intérêts de l’Autorité Suprême d’avec ceux du pays: tant elle était pénétrée de cette sérieuse et loyale conviction, que faire la guerre aux abus, c’était la faire aux ennemis personnels de l’Empereur… Souvent, de nos jours, pareils dehors de zèle ont, je le sais bien, recouvert de très mauvais sentiments et servi à dissimuler des tendances qui n’étaient rien moins que loyales; mais, grâce à l’expérience que les hommes de notre âge doivent avoir nécessairement acquise, rien de plus facile que de reconnaître, à la première vue, ces ruses du métier, et le faux dans ce genre ne trompe plus personne.

  On peut affirmer qu’à l’heure qu’il est, en Russie il y a deux sentiments dominants et qui se retrouvent presque toujours étroitement associés l’un à l’autre: c’est l’irritation et le dégoût que soulève la persistance des abus, et une religieuse confiance dans les intentions pures, droites et bienveillantes du Souverain.

  On est généralement convaincu que personne plus que Lui ne souffre de ces plaies de la Russie et n’en désire plus énergiquement la guérison; mais nulle part peut-être cette conviction n’est aussi vive et aussi entière que précisément dans la classe des hommes de lettres, et c’est remplir le devoir d’un homme d’honneur, que de saisir toutes les occasions pour proclamer bien haut qu’il n’y a pas peut-être en ce moment de classe de la société qui soit plus pieusement dévouée que celle-ci à la Personne de l’Empereur.

  Ces appréciations (je ne le cache pas) pourraient bien rencontrer plus d’un incrédule dans quelques régions de notre monde officiel. C’est que de tout temps il y a eu dans ce monde-là comme un parti pris de défiance et de mauvaise humeur, et cela s’explique fort bien par la spécialité du point de vue. Il y a des hommes qui ne connaissent de la littérature que ce que la police des grandes villes connaît du peuple qu’elle surveille, c’est-à-dire des incongruités et les désordres auxquels le bon peuple se laisse parfois entraîner.

  Non, quoi qu’on en dise, le gouvernement jusqu’à présent n’a pas eu lieu de se repentir d’avoir mitigé en faveur de la presse les rigueurs du régime qui pesait sur elle. Mais dans cette question de la presse, était-ce là tout ce qu’il y avait à faire, et en présence de ce travail des esprits plus libre et à mesure que le mouvement littéraire ira grandissant, l’utilité et la nécessité d’une direction supérieure ne se fera-t-elle pas sentir tous les jours davantage? La censure à elle seule, de quelque manière qu’elle s’exerce, est loin de suffire aux exigences de cette situation nouvelle. La censure est une borne et n’est pas une direction. Or, chez nous, en littérature comme en toute chose, il s’agit bien moins de réprimer que de diriger. La direction, une direction forte, intelligente, sûre d’elle-même, voilà le cri du pays, voilà le mot d’ordre de notre situation tout entière.

  On se plaint souvent de l’esprit d’indocilité et d’insubordination qui caractérise les hommes de la génération nouvelle. Il y a beaucoup de malentendu dans cette accusation. Ce qui est certain c’est qu’à aucune autre époque il n’y a eu autant d’intelligences actives à l’état de disponibilité et rongeant comme un frein l’inertie qui leur est imposée. Mais ces mêmes intelligences, parmi lesquelles se recrutent les ennemis du Pouvoir, bien souvent ne demandent pas mieux que de le suivre, du moment qu’il veut bien se prêter à les associer à son action et à marcher résolument à leur tête. C’est cette vérité d’expérience, enfin reconnue, qui, depuis les dernières crises révolutionnaires en Europe, a beaucoup contribué dans les différents pays à modifier sensiblement les rapports du Pouvoir avec la presse. Et ici, mon prince, je me permettrai de rappeler, à l’appui de ma thèse, le témoignage de vos propres souvenirs.

  Vous, qui avez connu comme moi l’Allemagne d’avant 1848, vous devez vous rappeler quelle était l’attitude de la presse d’alors vis-à-vis des gouvernements allemands, quelle aigreur, quelle hostilité caractérisait ses rapports avec eux, que de tracas et de soucis elle leur suscitait.

  Eh bien, comment se fait-il que maintenant ces dispositions haineuses aient en grande partie disparu et aient fait place à des dispositions essentiellement différentes?

  C’est qu’aujourd’hui ces mêmes gouvernements, qui considéraient la presse comme un mal nécessaire qu’ils étaient obligés de subir tout en le détestant, ont pris ce parti de chercher en elle une force auxiliaire et de s’en servir comme d’un instrument approprié à leur usage. Je ne cite cet exemple que pour prouver que dans des pays déjà fortement entamés par la révolution, une direction intelligente et énergique trouve toujours des esprits disposés à l’accepter et à la suivre. Car, d’ailleurs, autant que qui que ce soit je hais, quand il s’agit de nos intérêts, toutes ces prétendues analogies que l’on va chercher à l’étranger: presque toujours comprises à demi, elles nous ont fait trop de mal pour que je sois disposé à invoquer leur autorité.

  Chez nous, grâce au Ciel, ce ne sont pas absolument les mêmes instincts, les mêmes exigences qu’il s’agirait de satisfaire; ce sont d’autres convictions, des convictions moins entamées et plus désintéressées qui répondraient à l’appel du Pouvoir.

  En effet, malgré les infirmités qui nous affligent et les vices qui nous déforment, il y a encore chez nous dans les âmes (on ne saurait assez le redire) des trésors de bonne volonté intelligente et d’activité d’esprit dévouée qui n’attendent, pour se livrer, que des mains sympathiques, qui sachent les reconnaître et les recueillir. En un mot, s’il est vrai, comme on l’a si souvent dit, que l’Etat a charge d’âmes aussi bien que l’Eglise, nulle part cette vérité n’est plus évidente qu’en Russie, et nulle part aussi (il faut bien le reconnaître) cette mission de l’Etat n’a été plus facile à exercer et à accomplir. C’est donc avec une satisfaction, une adhésion unanimes, que l’on verrait chez nous le Pouvoir, dans ses rapports avec la presse, assumer sur lui la direction de l’esprit public, sérieusement et loyalement comprise, et revendiquer comme son droit le gouvernement des intelligences.

  Mais, mon prince, comme ce n’est pas un article semi-officiel que j’écris en ce moment, et que, dans une lettre toute de confiance et de sincérité, rien ne serait plus ridiculement déplacé que les circonlocutions et les réticences, je tâcherai d’expliquer de mon mieux quelles seraient à mon avis les conditions auxquelles le Pouvoir pourrait prétendre à exercer une pareille action sur les esprits.

  D’abord, il faut prendre le pays tel qu’il est dans le moment donné, livré à de très pénibles, de très légitimes préoccupations d’esprit, entre un passé rempli d’enseignements (il est vrai), mais aussi de bien décourageantes expériences, et un avenir tout rempli de problèmes.

  Il faudrait ensuite, par rapport à ce pays, se décider à reconnaître ce que les parents, qui voient leurs enfants grandir sous leurs yeux, ont tant de peine à s’avouer, c’est qu’il vient un âge où la pensée aussi est adulte et veut être traitée comme telle. Or, pour conquérir, sur des intelligences arrivées à l’âge de raison, cet ascendant moral, sans lequel on ne saurait prétendre à les diriger, il faudrait avant tout leur donner la certitude que sur toutes les grandes questions, qui préoccupent et passionnent le pays en ce moment, il y a dans les hautes régions du Pouvoir, sinon des solutions toutes prêtes, au moins des convictions fortement arrêtées et un corps de doctrine lié dans toutes ses parties et conséquent à lui-même.

  Non, certes, il ne s’agit pas d’autoriser le public à intervenir dans les délibérations du conseil de l’Empire, ou d’arrêter de compte à demie avec la presse le programme des mesures du gouvernement. Mais ce qui serait bien essentiel, c’est que le Pouvoir fût lui-même assez convaincu de ses propres idées, assez pénétré de ses propres convictions pour qu’il éprouvât le besoin d’en répandre l’influence au dehors, et de la faire pénétrer, comme un élément de régénération, comme une vie nouvelle, dans l’intimité de la conscience nationale. Ce qui serait essentiel en présence des écrasantes difficultés qui pèsent sur nous, c’est qu’il comprît que sans cette communication intime avec l’âme même du pays, sans le réveil plein et entier de toutes ces énergies morales et intellectuelles, sans leur concours spontané et unanime à l’œuvre commune, le gouvernement, réduit à ses propres forces, ne peut rien, pas plus au dehors qu’au dedans, pas plus pour son salut que pour le nôtre.

  En un mot, il faudrait que tous, public et gouvernement, nous ne cessassions de nous dire et de nous répéter que les destinées de la Russie sont comme un vaisseau échoué, que tous les efforts de l’équipage ne réussiront jamais à dégager et que seule la marée montante de la vie nationale parviendra à soulever et à mettre à flot.

  Voilà, selon moi, au nom de quel principe et de quel sentiment le Pouvoir pourrait en ce moment avoir prise sur les âmes et sur les intelligences, qu’il pourrait pour ainsi dire les mettre dans sa main et les emporter où bon lui semblerait. Cette bannière-là, elles la suivraient partout.

  Inutile de dire que je ne prétends nullement pour cela ériger le gouvernement en prédicateur, le faire monter en chaire et lui faire débiter des sermons devant une assistance silencieuse. C’est son esprit et non sa parole qu’il devrait mettre dans la propagande loyale qui se ferait sous ses auspices.

  Et même, comme la première condition de succès, dès qu’on veut persuader les gens, c’est de se faire écouter d’eux, il est bien entendu que cette propagande de salut, pour se faire accueillir, bien loin de limiter la liberté de discussion, la suppose au contraire aussi franche et aussi sérieuse que les circonstances du pays peuvent la permettre.

  Car est-il nécessaire d’insister pour la millième fois sur un fait d’une évidence aussi flagrante que celui-ci: c’est que de nos jours, partout où la liberté de discussion n’existe pas dans une mesure suffisante, là rien n’est possible, mais absolument rien, moralement et intellectuellement parlant. Je sais combien dans ces matières il est difficile (pour ne pas dire impossible) de donner à sa pensée le degré de précision nécessaire. Comment définir par exemple ce que l’on entend par une mesure suffisante de liberté en matière de discussion? Cette mesure, essentiellement flottante et arbitraire, n’est bien souvent déterminée que par ce qu’il y a de plus intime et de plus individuel dans nos convictions, et il faudrait pour ainsi dire connaître l’homme pour savoir au juste le sens qu’il attache aux mots en parlant sur ces questions. Pour ma part, j’ai depuis plus de trente ans suivi, comme tant d’autres, cette insoluble question de la presse dans toutes les vicissitudes de sa destinée, et vous me rendrez la justice de croire, mon prince, qu’après un aussi long temps d’études et d’observations cette question ne saurait être pour moi que l’objet de la plus impartiale et de la plus froide appréciation. Je n’ai donc ni parti pris, ni préventions sur rien de ce qui y a rapport; je n’ai pas même d’animosité exagérée contre la censure, bien que dans ces dernières années elle ait pesé sur la Russie comme une véritable calamité publique. Tout en admettant son opportunité et son utilité relative, mon principal grief contre elle, c’est qu’elle est selon moi profondément insuffisante dans le moment actuel dans le sens de nos vrais besoins et de nos vrais intérêts. Au reste la question n’est pas là, elle n’est pas dans la lettre morte des règlements et des instructions qui n’ont de valeur que par l’esprit qui les anime. La question est tout entière dans la manière dont le gouvernement lui-même dans son for intérieur considère ses rapports avec la presse; elle est, pour tout dire, dans la part plus ou moins grande de légitimité qu’il reconnaît au droit de la pensée individuelle.

  Et maintenant, pour sortir une bonne fois des généralités et pour serrer de plus près la situation du moment, permettez-moi, mon prince, de vous dire, avec toute la franchise d’une lettre entièrement confidentielle, que tant que le gouvernement chez nous n’aura pas, dans les habitudes de sa pensée, essentiellement modifié sa manière d’envisager les rapports de la presse vis-à-vis de lui, — tant qu’il n’aura pas, pour ainsi dire, coupé court à tout cela, rien de sérieux, rien de réellement efficace ne saurait être tenté avec quelque chance de succès; et l’espoir d’acquérir de l’ascendant sur les esprits, au moyen d’une presse ainsi administrée, ne serait jamais qu’une illusion.

  Et cependant il faudrait avoir le courage d’envisager la question telle qu’elle est, telle que les circonstances l’ont faite. Il est impossible que le gouvernement ne se préoccupe très sérieusement d’un fait qui s’est produit depuis quelques années et qui tend à prendre des développements dont personne ne saurait dès à présent prévoir la portée et les conséquences. Vous comprenez, mon prince, que je veux parler de l’établissement des presses russes à l’étranger, hors de tout contrôle de notre gouvernement. Le fait assurément est grave, et très grave, et mérite la plus sérieuse attention. Il serait inutile de chercher à dissimuler les progrès déjà réalisés par cette propagande littéraire. Nous savons qu’à l’heure qu’il est la Russie est inondée de ces publications, qu’elles sont avidement recherchées, qu’elles passent de main en main, avec une grande facilité de circulation, et qu’elles ont déjà pénétré, sinon dans les masses qui ne lisent pas, au moins dans les couches très inférieures de la société. D’autre part, il faut bien s’avouer qu’à moins d’avoir recours à des mesures positivement vexatoires et tyranniques, il sera bien difficile d’entraver efficacement, soit l’importation et le débit de ces imprimés, soit l’envoi à l’étranger des manuscrits destinés à les alimenter. Eh bien, ayons le courage de reconnaître la vraie portée, la vraie signification de ce fait; c’est tout bonnement la suppression de la censure, mais la suppression de la censure au profit d’une influence mauvaise et ennemie; et pour être plus en mesure de la combattre, tâchons de nous rendre compte de ce qui fait sa force et de ce qui lui vaut ses succès.

  Jusqu’à présent, en fait de presse russe à l’étranger, il ne peut, comme de raison, être question que du journal de Herzen. Quelle est donc la signification de Herzen pour la Russie? Qui le lit? Sont-ce par hasard ses utopies socialistes et ses menées révolutionnaires qui le recommandent à son attention? Mais parmi les hommes de quelque valeur intellectuelle qui le lisent, croit-on qu’il y en ait 2 sur 100 qui prennent au sérieux ses doctrines et ne les considèrent comme une monomanie plus ou moins involontaire, dont il s’est laissé envahir? Il m’a même été assuré, ces jours-ci, que des hommes qui s’intéressent à son succès l’avaient très sérieusement exhorté à rejeter loin de lui toute cette défroque révolutionnaire, pour ne pas affaiblir l’influence qu’ils voudraient voir acquise à son journal. Cela ne prouve-t-il pas que le journal de Herzen représente pour la Russie toute autre chose que les doctrines professées par l’éditeur? Or, comment se dissimuler que ce qui fait sa force et lui vaut son influence, c’est qu’il représente pour nous la discussion libre dans des conditions mauvaises (il est vrai), dans des conditions de haine et de partialité, mais assez libres néanmoins (pourquoi le nier?), pour admettre au concours d’autres opinions, plus réfléchies, plus modérées et quelques unes même décidément raisonnables. Et maintenant que nous nous sommes assuré où gît le secret de sa force et de son influence, nous ne serons pas en peine, de quelle nature sont les armes que nous devons employer pour le combattre. Il est évident que le journal qui accepterait une pareille mission ne pourrait rencontrer des chances de succès que dans des conditions d’existence quelque peu analogues à celles de son adversaire. C’est à vous, mon prince, de décider, dans votre bienveillante sagesse, si dans la situation donnée, et que vous connaissez mieux que moi, de pareilles conditions sont réalisables, et jusqu’à quel point elles le sont. Assurément ni les talents, ni le zèle, ni les convictions sincères ne manqueraient à cette publication; mais en accourant à l’appel qui leur serait adressé ils voudraient, avant toute chose, avoir la certitude qu’ils s’associent, non pas à une œuvre de police, mais à une œuvre de conscience; et c’est pourquoi ils se croiraient en droit de réclamer toute la mesure de liberté que suppose et nécessite une discussion vraiment sérieuse et efficace.

  Voyez, mon prince, si les influences qui auraient présidé à l’établissement de ce journal et qui protégeraient son existence, s’entendraient à lui assurer la mesure de liberté dont il aurait besoin, si peut-être elles ne se persuaderaient pas que, par une sorte de reconnaissance pour le patronage qui lui serait accordé et par une sorte de déférence pour sa position privilégiée, le journal qu’ils considéreraient en partie comme le leur ne serait pas tenu à plus de réserve encore et à plus de discrétion que tous les autres journaux du pays.

  Mais cette lettre est trop longue, et j’ai hâte de la finir. Permettez-moi seulement, mon prince, d’y ajouter en terminant ce peu de mots qui résument ma pensée tout entière. Le projet que vous avez eu la bonté de me communiquer me paraîtrait d’une réalisation, sinon facile, du moins possible, si toutes les opinions, toutes les convictions honnêtes et éclairées avaient le droit de se constituer librement et ouvertement en une milice intelligente et dévouée des inspirations personnelles de l’Empereur.

  Recevez, etc.


  Novembre, 1857



  





КОММЕНТАРИИ:

Автограф неизвестен.

Списки — РГБ. Ф. 308. К. 1 Ед. хр. 12. Л. 1–9, рукой Эрн. Ф. Тютчевой; писарская копия — в архиве С. Д. Полторацкого (Ф. 233. К. 11. Ед. хр. 72. Л. 1-14), содержит предваряющую ее запись: «Pia Desideria (Благие пожелания — лат.). Novembre 1857»; далее — справка: «писано Федором Иван., Действ. Ст. Сов., в ноябре 1857. Предоставлено им Министру Иностранных Дел, Князю Александру Михайловичу Горчакову. Читано Государем».

Первая публикация — РА. 1873. № 4. С. 607–620 и 620–632, на фр. и рус. яз. под заглавием «О цензуре в России. Письмо Ф. И. Тютчева одному из членов государственного совета». Публикация легла в основу Изд. СПб., 1886. С. 488–501 и 572–584; Изд. 1900. С. 519–532 и 603–615; Изд. Маркса. С. 324–332 и 364–369; стала источником для репринтного издания фр. и рус. текстов — Тютчев Ф. И. Политические статьи. С. 78–91 и 159–170; публикаций в рус. переводе — Тютчев Ф. Русская звезда. С. 301–310; другого перевода — ПСС в стихах и прозе. С. 424–431.

Печатается по Изд. СПб., 1886. С. 572–584 (на фр. яз.).



Среди наиболее заметных разночтений между публикациями в РА и в Изд. СПб., 1886 можно выделить следующие (первыми указываются цитаты из РА): «l’état a charge d’âmes aussi bien que l’église» — «l’Etat a charge d’âmes aussi bien que l’Eglise» (12-й абз.); «pouvoir» — «Pouvoir» (16-й абз.).

«Письмо о цензуре в России» занимает особое место среди разнородных официальных, полуофициальных и анонимных записок, писем, статей, получивших широкое распространение с началом царствования Александра II (в ряде случаев они были прямо обращены к царю), критиковавших сложившееся положение вещей в общественном устройстве и государственном управлении и обсуждавших различные вопросы их реформирования. «Историко-политические письма» М. П. Погодина, «Дума русского во второй половине 1855 г.» П. А. Валуева, «О внутреннем состоянии России» К. С. Аксакова, «О значении русского дворянства и положении, какое оно должно занимать на поприще государственном» Н. А. Безобразова, «Восточный вопрос с русской точки зрения», «Современные задачи русской жизни», «Об аристократии, в особенности русской», «Об освобождении крестьян в России» — эти и подобные им произведения «рукописной литературы», принадлежавшие перу Б. Н. Чичерина, Н. А. Мельгунова, А. И. Кошелева, Ю. Ф. Самарина и других представителей разных идейных течений, в списках расходились по стране. Встречались и такие, в которых рассматривались возможные изменения в области цензуры и печати, например, «Записка о письменной литературе», отражавшая взгляды К. Д. Кавелина, братьев Милютиных и других либералов, или подготовленное П. А. Вяземским для императора «Обозрение современной литературы», утверждавшее полезность для страны критического направления в журналистике и одновременно — необходимость разумной правительственной опеки над «благонамеренной гласностью».

В хаотическом брожении умов и столкновении различных проектов обновления социальной жизни Тютчева можно отнести к представителям консервативного прогресса, ратовавшим за эволюционные, а не революционные изменения. Не сомневаясь в христианских основах и нравственных началах самодержавия, а, напротив, стремясь укрепить их, он полагал, что «пошлый правительственный материализм», «убийственная мономания», боязнь диалога с союзниками, недоверие к народу, стремление в идейной борьбе опираться лишь на грубую силу подтачивали открытую и незамутненную мощь христианской империи, давали козыри ее противникам, служили не альтернативой, а пособничеством «революционному материализму». Среди подобных следствий «правительственного материализма» поэт особо выделял произвол по отношению к печати, жертвами которого зачастую становились не столько либерально-демократические, сколько славянофильские издания. В русле расширения, по инициативе правительства, гласности «в пределах благоразумной осторожности» и появления массы новых изданий единомышленники Тютчева открывали во второй половине 1850-х гг. свои журналы и газеты («Русская беседа», «Молва», «Сельское благоустройство», «Парус»), которые испытывали цензурный гнет и в конечном итоге закрывались. Славянофилы признавали самодержавие одним из главных исконных устоев русской жизни, укреплять который способна свобода совести и слова, преодолевающая убийственный для него чиновничий произвол и казенную рутину. Однако самовластная бюрократия оказывалась сильнее, и позднее, 3 апреля 1870 г., Тютчев писал дочери Анне: «Намедни мне пришлось участвовать в почти официальном споре по вопросу о печати, и там было высказано — и высказано представителем власти — утверждение, имеющее для некоторых значение аксиомы, — а именно, что свободная печать невозможна при самодержавии, на что я ответил, что там, где самодержавие принадлежит лишь государю, ничто не может быть более совместимо, но что действительно печать, — так же, как и все остальное, — невозможна там, где каждый чиновник чувствует себя самодержцем» (Изд. 1984. С. 342).

Для понимания внутренней логики «Письма…» важно еще иметь в виду происходивший во второй половине XIX в. своеобразный поиск адекватного отношения к нарождавшимся в России феноменам общественного мнения, гласности, свободы журналистики (см. об этом: Скабичевский А. М. Очерки истории русской цензуры (1700–1863). СПб., 1892; Энгельгардт Н. Очерки истории русской цензуры в связи с развитием печати (1703–1903). СПб., 1904; Лемке М. К. Очерки по истории цензуры и журналистики XIX столетия. СПб., 1904; Чернуха В. Г. Правительственная политика в отношении печати: 60-70-е годы XIX в. Л., 1989; Пирожкова Т. Ф. Славянофильская журналистика. М., 1997; Жирков Г. В. История цензуры в России XIX–XX вв. М., 2001 и др.).

В осмыслении взаимоотношений государства и общества через печатное слово Тютчев своеобразно солидаризировался с такими, например, правительственными деятелями, как в 1860-е гг. П. А. Валуев или позднее К. П. Победоносцев. До известной степени и в фундаментальных вопросах они являлись как бы единомышленниками поэта по прогрессивному консерватизму (хотя он нередко и резко критиковал конкретные действия П. А. Валуева) и рассматривали прессу как неоспоримую силу, становящуюся универсальной формой цивилизации и действующую в условиях падения высших идеалов, исторических авторитетов и, говоря словами самого поэта, «самовластия человеческого я» (при этом сознательно или бессознательно, но закономерно превращающуюся в инструмент подобных процессов). В документах разных лет, в том числе и в записке «О внутреннем состоянии России», П. А. Валуев подчеркивал: «При самом даже поверхностном взгляде на современное направление общества нельзя не заметить, что главный характер эпохи заключается в стремлении к уничтожению всякого авторитета. Все, что доселе составляло предмет уважения нации: вера, власть, заслуга, отличие, возраст, преимущества, — все попирается: на все указывается как на предметы, отжившие свое время ‹…› Наша пресса вся целиком в оппозиции к правительству. Органы прессы являются или открытыми и непримиримыми врагами, или очень слабыми и недоброжелательными друзьями, которые идут дальше целей, какие ставит себе правительство. Его собственные органы неспособны или парализованы» (Исторические сведения о цензуре в России. СПб., 1862. С. 125; Исторический архив. 1958. № 1. С. 142).

В такой парадоксально складывавшейся для самодержавного государства ситуации оппозиционные либеральные, демократические, революционные, легальные и нелегальные издания в России и за рубежом получали и известные моральные преимущества, ибо сосредоточивались на критике реальных недостатков и злоупотреблений существовавшего строя, хотя в своей положительной программе исходили из идеологической риторики невнятного гуманизма и прогресса, утопически уповавшей на внешние общественные изменения, что приводило впоследствии (без учета подчеркнутого Тютчевым антропологического фактора, несовершенной и греховной природы человека) к кровавым революциям, гражданским войнам, упрощению и примитивизации отношений между людьми в цивилизационном процессе. Такая критика при такой «положительной» программе предполагала соответствующий подбор известий и фактов, их сокращение, поворачивание и освещение с тех сторон, которые требовались не полнотой истины, а политическими, идейными, материальными, финансовыми, личными интересами. «Сочиняя» на этой основе общественное мнение, пресса затем «отражает» и проповедует его, формируя замкнутый круг (оторванный от многообразия социальных «голосов») и оказывая на людей огромное влияние без должной легитимности (в тютчевском понимании этого слова). Отсутствие в газетной деятельности, манипулирующей человеком, достаточных нравственных оснований и подлинной легитимности подчеркивал Н. В. Гоголь: «Люди темные, никому не известные, не имеющие мыслей и чистосердечных убеждений, правят мнениями и мыслями умных людей, и газетный листок, признаваемый лживым всеми, становится нечувствительным законодателем его не уважающего человека. Что значат все незаконные эти законы, которые видимо, в виду всех, чертит исходящая снизу нечистая сила, — и мир это видит весь и, как очарованный, не смеет шевельнуться? Что за страшная насмешка над человечеством!» (Гоголь. С. 190). К. П. Победоносцев, вопрошая, кто дал права и полномочия той или иной газете от имени целого народа, общества и государства возносить или ниспровергать, провозглашать новую политику или разрушать исторические ценности, замечал: «Никто не хочет вдуматься в этот совершенно законный вопрос и дознаться в нем до истины; но все кричат о так называемой свободе печати, как о первом и главнейшем основании общественного благоустройства ‹…› Нельзя не признать с чувством некоторого страха, что в ежедневной печати скопляется какая-то роковая, таинственная, разлагающая сила, нависшая над человечеством» (Победоносцев. С. 125, 132). Эта сила ссылается на читательский «спрос», навязываемый ее же ретивым «предложением», которое превращается из свободы в деспотизм печатного слова, уравнивает «всякие углы и отличия индивидуального мышления», отучает от самостоятельного мнения, в массе передаваемых сведений становится источником мнимого знания и образования, рассчитывает с помощью рыночных талантов и привлекательно-шокирующей информации «на гешефт» и на удовлетворение «низших инстинктов», а не «на одушевление на добро». В результате «никакое издание, основанное на твердых нравственных началах и рассчитанное на здравые инстинкты массы, — не в силах будет состязаться с нею» (там же. С. 129).

Тютчев ясно представлял себе изначальную двойственность и слабую легитимность печатного слова, его внутреннюю оппозиционность и потенциальную разрушительность (эту роль «типографического снаряда» подчеркивал и А. С. Пушкин), склонность опираться на не лучшие свойства человеческой природы и т. п. Поэтому необходимость «ограждать общество от действительно вредного и предосудительного» не вызывала у него как у цензора Министерства иностранных дел с 1848 г. и председателя Комитета цензуры иностранной с 1858 г. никаких сомнений (о деятельности поэта на этих должностях см.: Чулков Г. Тютчев и Аксаков в борьбе с цензурою // Мурановский сб. Мураново, 1928. Вып. 1. С. 7–29; Бриксман М. Тютчев в Комитете ценсуры иностранной // ЛН. М., 1935. Т. 19–21. С. 565–568; Жирков Г. В. Тютчев о цензуре // Невский наблюдатель. 1997. № 1. С. 44–45; Жирков Г. В. Век официальной цензуры // Очерки русской культуры XIX века. Власть и культура. М., 2000. С. 227–233). В его представлении такая деятельность может приносить действительную пользу, а не вред, если возглавляется и исполняется по-настоящему многознающими, мудрыми, честными, ответственными людьми, сообразующимися не с пристрастиями и фобиями вышестоящего начальства, а с Истиной и Делом, не с буквой устаревших инструкций, а «с разумом закона, требованиями века и общества». И такие цензоры, помимо Тютчева, стали появляться в лице Н. И. Пирогова, И. А. Гончарова, В. Н. Бекетова, А. Н. Майкова, Я. П. Полонского… (О себе и таких цензорах он писал в стихах, что, «стоя на часах у мысли», они «не арестантский, а почетный держали караул при ней!».) Хотя в целом господствовали другие, и в одном из писем летом 1854 г. поэт замечал: «Недавно у меня были мелкие неприятности в министерстве, все по поводу этой злосчастной цензуры. Конечно, в этом не было ничего особенно важного… На развалинах мира, который обрушится под тяжестью их глупостей, они, по роковому закону, останутся жить и умирать в постоянной безнаказанности их идиотизма. Что за отродье, Боже мой! Однако, чтобы быть вполне искренним, я должен сознаться, что эта беспримерная, эта ни с чем не сравнимая недалекость не опечаливает меня за судьбу самого дела настолько, насколько, казалось, должна была бы опечалить. Когда видишь, насколько все эти люди лишены всяких мыслей и всякой сообразительности, следовательно и всякой самодеятельности, — становится невозможным приписывать им малейшее участие в чем-либо; в них можно видеть только безвольные колесики, приводимые в движение невидимой рукой» (РА. 1899. № 2. С. 275). За шесть лет до своей кончины Тютчев был вынужден констатировать (несмотря на благие намерения и реформаторские усилия правительства): «Для совершенно честного, совершенно искреннего слова в печати требуется совершенно честное и искреннее законодательство по делу печати, а не тот лицемерно-насильственный произвол, который теперь заведывает у нас этим делом» (цит. по: Чулков Г. Тютчев и Аксаков в борьбе с цензурой. С. 19). По наблюдению поэта, этот произвол и тяжести цензорских «глупостей» сковывали силы легитимной и «разумно-честной печати», стремившейся искренне и свободно, верой и правдой служить (а не прислуживаться, тем самым дискредитируя ее) «христианской империи», терявшей своих талантливых сотрудников и не имевшей возможности свободно состязаться с либерально-демократическими и революционными изданиями на «твердых нравственных началах» и на гораздо более трудных, нежели критически-разоблачительные, но единственно плодотворных, говоря его словами, «положительно разумных» основаниях.

Различным вопросам функционирования свободного слова в печати, связанного с принципиальными общественными и государственными задачами бескорыстным делом, проникновенной сознательностью, нравственной ответственностью и вменяемостью, и посвящено «Письмо о цензуре в России». И. С. Аксаков отмечает: «В 1857 году Тютчев написал, в виде письма к князю Горчакову (ныне канцлеру) статью или записку о цензуре, которая тогда ходила в рукописных списках и, может быть, не мало содействовала более разумному и свободному взгляду на значение печатного слова в наших правительственных сферах» (Биогр. С. 38–39). С 1856 г. А. М. Горчаков (1798–1883) занимал должность министра иностранных дел, сумел значительно смягчить отрицательные последствия Крымской войны и заключившего ее Парижского трактата, вывести Россию из политической изоляции и усилить ее влияние на Балканах. По словам Тютчева, при новом министре, сменившем «труса беспримерного» К. В. Нессельроде, «поистине впервые действия русской дипломатии затронули национальные струны души» и продемонстрировали «полный достоинства и твердости» тон. С конца 1850-х гг. поэт тесно сблизился с А. М. Горчаковым и с самых разных сторон помогал ему в его деятельности (см. его письма министру и коммент. К. В. Пигарева в статье «Ф. И. Тютчев и проблемы внешней политики царской России» (ЛН. 1935. Т. 19–21. С. 199–235); см. также: Кожинов В. Тютчев. М., 1988. С. 384–406). При проведении национально ориентированной внешней политики А. М. Горчаков придавал большое значение формированию общественного мнения, что отразилось в одном из нескольких адресованных ему стихотворных посланий поэта в 1864 г.:

Вам выпало призванье роковое,
Но тот, кто призвал вас, и соблюдет.
Все лучшее в России, все живое
Глядит на вас, и верит вам, и ждет.
Обманутой, обиженной России
Вы честь спасли, — и выше нет заслуг;
Днесь подвиги вам предстоят иные:
Отстойте мысль ее, спасите дух…
     («Князю Горчакову»).

Как предполагает И. С. Аксаков, стихотворение написано «по поводу грозивших Русской печати новых стеснений» (Биогр. С. 281).

Тютчев не случайно обращается с таким призывом к А. М. Горчакову, который семью годами ранее приглашал его возглавить новое издание, соответствующее новой политике. 27 октября / 8 ноября 1857 г. дочь поэта Дарья сообщала сестре Екатерине, что кн. А. М. Горчаков предложил их отцу «быть редактором газеты или нечто в этом роде. Однако папá предвидит множество препятствий на этом пути и в настоящее время составляет записку, которую Горчаков должен представить государю; в ней он показывает все трудности дела» (ЛН-2. С. 293). Об идеологических, административных, организационных, цензурных, психологических, нравственных трудностях воплощения подобного проекта и ведет речь поэт в своем «Письме…», которое в ноябре 1857 г. стало распространяться в Москве. 20 ноября М. П. Погодин записал в дневнике: «Записка Тютчева о цензуре» (цит. по: ЛН-2. С. 14). Вероятно, М. П. Погодин одним из первых познакомился с «запиской», поскольку ранее находил согласие с их автором в обсуждении сходных вопросов в похожем жанре. Поэт полностью одобрил «историко-политическое» письмо М. П. Погодина, где в тютчевских словах и интонациях обрисованы губительные последствия для государственной и общественной жизни отсутствия нормальных условий для духовной деятельности: «Ум притуплен, воля ослабела, дух упал, невежество распространилось, подлость взяла везде верх, слово закоснело, мысль остановилась, люди обмелели, страсти самые низкие выступили наружу, и жалкая посредственность, пошлость, бездарность взяла в свои руки по всем ведомствам бразды управления» (Погодин. С. 267).

Два «историко-политических» письма М. П. Погодин прямо адресовал «К Ф. И. Тютчеву», рассматривая проблемы заключения мира после Крымской войны. Еще летом 1855 г. он писал П. А. Вяземскому: «…с Тютчевым толковали мы много об издании политических статей для вразумления публики» (СН. 1901. Кн. 4. С. 50). Летом же 1857 г. собеседники активно обсуждали внешнеполитическую деятельность нового министра иностранных дел, которую, советуясь с Тютчевым и вразумляя публику, осенью этого года М. П. Погодин высоко оценивал в приготовленной для «Journal du Nord» («Северной газеты») статье. Подобные факты объясняют, почему М. П. Погодин получил в числе первых список публикуемого «Письма…», которое находило отклик в обществе, а не у официальных кругов. Хотя управляющий III Отделением А. Е. Тимашев в «Замечаниях при чтении записки г. Тютчева о полуофициальном журнале, который он полагал бы полезным издавать в России с целью руководить мнениями» в целом одобрительно отнесся к мыслям автора и даже нашел ряд из них заслуживающими полного внимания. Соглашаясь с мнением поэта, что «цензура служит пределом, а не руководством», он тем не менее подчеркивает необходимость идейного руководства литературой, «ибо она теперь становится на такую дорогу, по которой мир читающий будет доведен до страшных по своим последствиям заблуждений» (цит. по: Порох И. В. Из истории борьбы царизма против Герцена. (Попытка создания анти-«Колокола» в 1857–1859 гг.) // Из истории общественной мысли и общественного движения в России. Саратов, 1964. С. 128). А. Е. Тимашев в докладе начальнику III Отделения В. А. Долгорукову отмечает также интересные детали, относящиеся к проекту А. М. Горчакова: «…в бытность вашу за границей вам с кн‹язем› Ал‹ександром› М‹ихайловичем› Горчаковым пришла мысль об издании официального органа, одновременно с этим в Петергофе я в разговоре с ‹…› вел‹иким› кн‹язем› Константином Николаевичем развил ту же мысль, Баранов и Карцев обрабатывают, как я узнал на днях, нечто подобное по военной газете, и наконец, г. Зотов является с таким же предложением» (там же. С. 129).

Тем не менее, если судить по письму Н. И. Тютчева Эрн. Ф. Тютчевой от 6/18 декабря 1857 г., должного внимания к планам поэта было явно недостаточно: «Рукопись моего брата произвела здесь то впечатление, которое и должна была произвести. К сожалению, все это ни к чему не приводит и служит только подтверждением притчи о жемчужинах, брошенных свиньям…» (ЛН-2. С. 293).

«Письмо…» увидело свет еще при жизни автора в РА за 1873 г. После прочтения публикации поэт в письме к дочери Екатерине замечал: «Не знаю, какое впечатление произвела эта статья в Москве, здесь она вызвала лишь раздражение, ибо здесь сейчас подготавливаются законы, диаметрально противоположные тем, о которых говорится в этой записке, но, когда используешь редкую возможность высказаться, мнение оппонентов тебя не очень интересует» (ЛН-1. С. 480). Тютчев подразумевает готовившийся новый закон о печати (принят 16 июня 1873 г.), вносивший дополнительные ограничения по отношению к периодическим изданиям и предоставлявший министру внутренних дел право приостанавливать те газеты и журналы, в которых неподобающим образом обсуждаются «неудобные» вопросы. За два месяца до кончины, будучи не в состоянии писать сам, он продиктовал следующие строки: «Перечитывая мою записку, которая и в настоящий миг трепещет современным интересом, я убедился, что самая бесполезная вещь на сем свете быть правым. Через 30 лет все, конечно, будут думать об этом предмете то же, что я тогда думал, но зло будет уже сделано, и, вероятно, зло непоправимое. Мне любопытно бы видеть впечатление, которое произведет в правительственных сферах обнародование этой записки… Но как простодушно-глупо с моей стороны озабочиваться тем, чтó не имеет уже никакого живого отношения ко мне! Мне следовало бы смотреть на себя как на зрителя, которому, после опущения занавеса, ничего другого не остается, как подобрать свои вещи и направиться к двери…» (цит. по: Биогр. С. 313).

Публикуя «Письмо…», редактор РА П. И. Бартенев отмечал, что печатает «записку» Тютчева «как произведение, знаменующее собою важную минуту в истории русского умственного развития» (РА. 1873. № 4. С. 607).